
Un film d’Alexe Poukine, « Sans frapper », est sorti sur les écrans le 9 mars 2022, nous reproduisons ci-dessous la présentation de Christiane Passevant, productrice de l’émission Chroniques rebelles sur Radio libertaire, et proposons le dossier de presse en version PDF à télécharger après l’article. Nous ne nous posons pas en donneurs de leçons, ce n’est pas notre rôle, mais nous trouvons intéressant de donner la parole à des femmes qui cherchent à réfléchir et à faire entendre leurs voix sur ce sujet qui prête à réflexion.
Ada accepte d’aller dîner chez un garçon de sa connaissance, elle a 19 ans et ne se défend pas lorsque ce dernier la viole. L’une des raisons qui a poussé Alexe Poukine à « réaliser ce film est la certitude que l’histoire d’Ada n’était pas une simple catastrophe personnelle, mais qu’elle faisait partie d’un phénomène sociétal d’une grande ampleur. » Une sale histoire où le fait qu’il n’y ait pas eu de résistance ouverte, mais une passivité interprétée comme un « laissé faire » trouble la perception du viol tel qu’il est qualifié ou généralement imaginé. Il n’y a pas eu de refus exprimé, mais plutôt une sidération, génère à coup sûr un traumatisme profond et pesant dont il est difficile de parler. D’où la question, tout au long du film, de la dissociation et des mécanismes de la mémoire traumatique. L’histoire d’Ada était certes délicate à raconter dans un documentaire, pas question de faire parler la jeune femme ou la jeune fille, face à la caméra, de ce qui est arrivé et de ses réactions.
Plusieurs personnes racontent l’histoire d’Ada et cela implique une compréhension de ce qui s’est passé réellement ; il fallait aussi trouver des personnes « qui aient quelque chose à dire sur le sujet. J’avais envie [poursuit la réalisatrice] d’entendre des points de vue très différents : des victimes, bien-sûr, mais aussi des auteurs de viol, et des gens, dont le travail gravite autour du viol ou consiste à le penser. » L’histoire d’Ada est intéressante parce que terriblement ordinaire, elle ne correspond pas à l’image fantasmée du viol, or « dans 80 % des cas, la victime connaît la personne qui abuse d’elle, qu’un tiers des viols ont lieu dans le couple… Cela me frappe beaucoup [ajoute Alexe Poukine] : à chaque fois on interroge le fait qu’Ada soit retournée voir cet homme mais personne n’interroge le fait qu’il l’ait violée ! Il y a un énorme problème d’éducation ! C’est, à mes yeux, pour cela qu’il y a autant de viols. Une menace pèse sur nous toutes depuis que nous sommes toutes petites, on le sait toutes, ça peut nous arriver, sauf qu’on s’en fait une représentation complètement erronée. Du coup, lorsque ça arrive, on ne sait tellement pas ce qui est train d’avoir lieu, on ne sait tellement pas se le dire qu’on n’arrive même plus à bouger. La plupart des femmes sont complètement sidérées. Et la plupart des hommes pensent que ce qu’ils sont en train de faire, c’est-à-dire, forcer une femme à avoir une relation sexuelle, ce n’est pas ça un viol. L’énorme lacune concerne la définition du consentement. Ce n’est pas en frappant une femme — ou un homme — en général qu’on arrive à la violer mais en réussissant à avoir une emprise. La plupart des viols se passent sans brutalité physique. C’est endémique. C’est complètement terrifiant. Et le plus terrible dans tout ça, c’est que ce soit si terriblement banal. »
Dans son film, Alexe Poukine cerne exactement le processus de cette « emprise » d’une personne sur une autre, et vu les tabous et idées toutes faites sur la sexualité, il est difficile que la notion de consentement — pourtant simple — puisse être adoptée naturellement.
Sans frapper d’Alexe Poukine ravive un débat sur le consentement et une réflexion essentielle sur le pouvoir, la domination et le viol même sans violence.
Sans frapper d’Alexe Poukine est sorti sur les écrans le 9 mars 2022.
Par Christiane Passevant, dans l’émission Chroniques rebelles, sur Radio Libertaire